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Essais sur la vérité  
12 juillet 2013

« 2030.lu - Ambition pour le futur » - Interview avec Marc Wagener

Marc Wagener est Conseiller en affaires économiques à la Chambre de Commerce du Luxembourg et Coordinateur général de l’opération l’initiative « 2030.lu – Ambition pour le futur ».

« 2030.lu - Ambition pour le futur » a vu le jour en raison d’une série de défis non résolus qui guettent l’avenir du Luxembourg. Grand débat public, 2030.lu est une initiative citoyenne qui a pour objet, dans un esprit non-partisan, de transparence et d’ouverture, de faire émerger des idées et des pistes de réflexion face aux défis du pays, qu’ils soient économiques, sociaux ou environnementaux. Toutes les opinions exprimées, sur la plateforme de discussion en ligne ou lors d’ateliers publics, ont la même valeur. En lançant un appel à la société civile - Luxembourgeois, non-Luxembourgeois, frontaliers, jeunes et moins jeunes - l’objectif est de prouver que des solutions existent. Le Recueil, qui comprendra l’ensemble des pistes exprimées et qui sera publié en automne 2013, se conçoit comme une boîte à outils, une source d’inspiration. Le Recueil, et le Manifeste qui l’accompagnera, appartiendront à la société civile et tout un chacun pourra en faire sa propre lecture. Si 2030.lu peut contribuer à insuffler une nouvelle dynamique au pays et à donner un élan aux responsables politiques de s’atteler courageusement aux réformes, alors son pari sera gagné.

Interview par Bernard Baudelet de M. Marc Wagener

 Bernard Baudelet

Je vous propose de centrer votre premier commentaire sur l’originalité de 2030.lu, ses objectifs, sa stratégie, ses engagements. Vous visez 2030 pour un nouvel avenir au Luxembourg, 2030 n’est-ce pas trop lointain en un temps de crise international où chacun espère que votre pays en sortira rapidement indemne ? J’ai remarqué que seront entendues les propositions librement exprimées par toutes personnes concernées par votre pays, résidents ou non, étrangers ou Luxembourgeois. Comment espérez-vous susciter ces propositions ? Et ne pensez-vous pas dangereux de vous vous soyez engagé à les publier toutes au terme de cette opération ? En effet, il est à craindre que chacun ait tendance à vouloir sauver ses droits acquis. Et surtout que ferez-vous de cet ensemble qui risque d’être disparate ?

 Marc Wagener

Au nom de toute l’équipe de l’initiative « 2030.lu - Ambition pour le futur », permettez-moi, Professeur Baudelet, tout d’abord de vous remercier nous donner l’occasion de présenter notre projet d’avenir dans le cadre de cette série d’essais que je suis avec grand intérêt.

Si 2030.lu a vu le jour, c’est avant tout en raison de la présence d’une série de défis non résolus, non abordés qui guettent l’avenir du Luxembourg, qu’ils soient d’actualité immédiate ou qu’ils s’inscrivent un horizon temporel - au moins ostensiblement - plus éloigné. Qu’il s’agisse des dérives socio-économiques mises en lumière ou renforcées par la crise économique - exclusion, chômage, faillites pour ne citer que ces trois points - ou de défis plus transversaux voire sociétaux - et je citerai à titre d’exemple le logement, la diversité et la cohésion sociale dans un pays multilingue et pluriculturel, l’empreinte écologique insoutenable du Grand-Duché, la diversification du tissu économique, le développement de l’esprit d’entreprendre ou encore la pérennisation de notre système de protection sociale – les champs de batailles ne manquent pas.

Selon un sondage représentatif mené en amont du lancement de la campagne 2030.lu le 20 mars 2013, pour les deux tiers des résidents, le Luxembourg est en crise ; résultat qui s’amplifie chez les résidents de nationalité luxembourgeoise avec 77% d’entre eux. Cette appréciation inquiétante souligne que, malgré le sentiment d’« intouchabilité » que d’aucuns font valoir quand il s’agit d’appréhender la fortune économique du Luxembourg, les citoyens ont bien compris que « quelque chose ne tourne pas rond », si vous me permettez cette expression. Il souligne par ailleurs que les milieux proches des entreprises, dont la Chambre de Commerce qui a mis à notre disposition le référentiel de discussion et assure la coordination du projet sans toutefois intervenir dans le façonnement des pistes de réflexion, ne sont pas les seuls commentateurs de la vie socio-économique. En effet, de nombreuses personnes expriment une grande inquiétude vis-à-vis des défis du Luxembourg et de sa capacité à les relever.

2030.lu ne souhaite pas se cantonner au stade du diagnostic, tout au contraire. 2013 étant l’année européenne des citoyens, 2030.lu est précisément une initiative citoyenne. Une initiative qui a comme seul objet, dans un esprit non-partisan, d’ouverture et de faire émerger des remèdes, des pistes de réflexion et des jalons de réponses face aux défis du pays. Il s’agit d’une approche inclusive. Notre plateforme de discussions en ligne, ainsi que nos événements publics, ne discriminent ni certaines opinions au détriment d’autres, ni une langue au détriment d’une autre. Toutes les opinions exprimées ont la même valeur. En lançant un appel à la société civile - Luxembourgeois, ressortissants étrangers, frontaliers, jeunes et moins jeunes -, notre objectif est de démontrer, à travers la discussion publique, que des solutions existent face aux défis du Luxembourg. Nous suscitons une pluralité d’opinions à travers une approche structurée alliant entretiens prospectifs, sondages, ateliers thématiques, conférences et plateforme de discussion publique en ligne sur notre site Internet 2030.lu.

2030.lu n’a pas la prérogative de choisir, parmi un ensemble de jalons de réponses et de pistes de solution disparates, ceux et celles qui charment le plus. Nous voulons interpeller les responsables économiques, sociaux et surtout politiques ; les inciter à développer davantage de courage, leur démontrer que le fait de persévérer dans le statu quo et dans l’attentisme ne constitue pas une réponse appropriée à nos défis. Si nous pouvons contribuer à insuffler une nouvelle dynamique, un air de renouveau, si nous pouvons concourir aux efforts visant à donner un nouvel élan aux responsables politiques de s’atteler courageusement aux réformes économiques, sociales et sociétales ; alors le pari de 2030.lu sera gagné.

Notre recueil d’idées, qui comprendra l’ensemble des pistes exprimées le long de la route et que publierons en automne, se conçoit plus comme une « boîte à outils » et ne doit partant pas être considéré comme un carcan rigide. Le recueil d’idées, et le Manifeste qui l’accompagnera, appartiendront à la société civile, à toutes celles et ceux ayant participé, et tout un chacun pourra s’en inspirer et en faire sa propre lecture. Nous assumons que, par endroits, le recueil d’idées proposera des solutions dichotomiques face au même problème. Aussi longtemps que le propos exprimé soit dépourvu d’un caractère discriminatoire, il sera repris par notre recueil d’idées.

L’évaluation du recueil, l’analyse, l’exclusion d’opinions ségrégées interviendra dans une seconde étape. Elle ne pourra toutefois être faite par 2030.lu, mais elle devra être faite par toute personne ou association souhaitant faire une lecture critique du recueil. Ainsi, ce deuxième processus n’engagera plus la responsabilité de 2030.lu mais relèvera de la personne qui se livrera à un tel exercice.

Pourquoi 2030 ? C’est un choix qui nous paraît judicieux étant donné que l’horizon temporel nous semble suffisamment lointain pour pouvoir envisager des vraies réformes structurelles et d’en entrevoir les effets, mais en même temps suffisamment proche pour que les participants puissent s’y projeter, à titre personnel ou tout au moins en tant que personne laissant un héritage, qu’il soit humain, matériel ou immatériel.

 Bernard Baudelet

Ma deuxième question concerne le volant économique de l’avenir du Luxembourg. Sans d’importantes sommes d’argent dans les caisses, aucun futur lumineux n’est possible. Ne serait-ce pas inconscient d’espérer que votre pays demeurera une place financière épanouie, qu’elle n’est déjà presque plus ou bien de croire qu’il suffirait d’attirer un nouvel eldorado pour garantir un avenir radieux ? De même, n’est-ce pas utopique de prôner de relancer la consommation en distribuant de l’argent pour faire tourner la machine même avec des budgets rétrécis ? Sans renoncer à la place financière qui devra évoluer, ne faudrait-il pas que des entreprises compétitives des secteurs secondaires et tertiaires naissent, se développent et réussissent grâce à des produits innovants, des procédés innovants et également un management favorisant l’innovation ? Évidemment, cette même dynamique devrait éclairer les entreprises qui sont en place, en suivant l’exemple de celles qui ont déjà démontré leur capacité à rayonner internationalement grâce à leur esprit innovateur. Je vais vous entendre avec une attention particulière, tant sont grands les enjeux. Et tant est finalement court le temps qui reste pour espérer avoir réussi en 2030.

 Marc Wagener

En filigrane des discussions menées dans le cadre de l’initiative 2030.lu, la sphère économique occupe une place particulière. Comment faire en sorte que la richesse se crée et comment assurer, ensuite, l’équité de sa redistribution ? Nombreux sont les participants et les commentateurs estimant que l’ère de « l’argent facile » est révolue. Dans un contexte d’imbrication de plus en plus forte des économies luxembourgeoise, européenne et mondiale, et eu égard à la prise de conscience de plus en plus généralisée qu’une économie globalisée a besoin d’un minimum de règles du jeu unifiées, la conviction est en train de mûrir que les recettes fiscales extraordinaires dont a pu se prévaloir le Luxembourg, sont menacées quant à leur rendement, voire quant à leur existence.

Par corolaire, il fait désormais quasiment consensus que le Luxembourg doit encore davantage miser sur ses compétences, son attrait, son savoir-faire et son ouverture pour diversifier son appareil de production et créer la richesse au bénéfice de ses parties prenantes résidentes et non-résidentes. Le nouvel « eldorado » économique ne pourra guère être décrété, il doit être construit. Je suis convaincu que le dynamisme économique est fonction d’un mélange subtil de conditions, qu’il convient de bien doser. La traditionnelle attractivité du cadre réglementaire est un simple ingrédient. Un projet sociétal commun, un système d’éducation et de formation donnant à tout un chacun des clés de réussite, une interconnexion intelligente entre recherche, développement, innovation et études supérieures, des infrastructures adaptées, un cadre propice à l’entrepreneuriat, un cadre permettant d’attirer des talents, … ce sont là quelques-uns des déterminants de ce qu’on appelle communément la compétitivité.

Après cette digression et pour revenir à votre question, je tiens à souligner qu’aucun participant n’a jusqu’à présent remis en question la présence d’un secteur financier fort au Luxembourg. L’argument de son caractère soi-disant « disproportionné » me paraît très peu judicieux. J’ai plutôt l’impression que les opinions évoluent dans un sens où la place financière doit préserver, voire accélérer sa diversification sectorielle et géographique. Certains « corps de métiers » vont peut-être disparaître, mais pourraient très bien être supplantés par des piliers naissants. Ceci vaut d’ailleurs pour tous les secteurs. La « création destructrice » me semble apte à capturer l’équation de la création de richesse : on sème les graines du développement économique, les secteurs grandissent, à un certain moment arrivent à maturité et ne parviennent à éviter leur déclin qu’en se réinventant, qu’en s’adaptant à l’air du temps. L’eldorado économique est un vœu pieu si les regards sont tournés vers le passé. Se retrousser les manches, aller de l’avant, innover, avoir le droit de remettre en question des acquis… tel est justement le credo de 2030.lu.

Quant à votre question sur la politique économique à mener, je rappelle que le Luxembourg est une petite économie ouverte au carrefour de l’Europe, propice aux fuites, qui crée autant de richesse à travers les exportations qu’à travers la consommation interne. Dans un tel scénario, il me semble insuffisant d’envisager de relancer la consommation privée à travers la dépense publique, encore moins si cette dernière est donne lieu à des déficits récurrents (pas clair selon BB). L’effet multiplicateur des euros ainsi dépensés est probablement très loin d’atteindre les niveaux auxquels peuvent se prévaloir de telles débourses dans un pays fortement dépendant de la dépense de la consommation interne. La dépense publique, comme d’ailleurs l’ensemble des décisions de consommation, d’épargne et d’investissement des agents économiques, est issue d’un choix. Il incombe aux décideurs politiques d’opérer les choix collectifs, donc in fine, les choix budgétaires, en âme et conscience, en bonus pater familias. Les idées évoquées sur la plateforme 2030.lu peuvent les soutenir dans ce contexte.

Ma conviction est qu’il faut plutôt poursuivre une politique permettant d’optimiser le potentiel de création de richesses du pays, en optimisant le mélange subtil de conditions nécessaires à la production de richesses que j’ai évoqué tout à l’heure. C’est grâce à ce potentiel que naîtront des activités, des emplois, un rendement fiscal important et, in fine, les conditions permettant de pérenniser l’État social.

 Bernard Baudelet

Ma dernière question est sociétale car l’humain demeure la mesure de toute chose (Protagoras). Pensez-vous que l’avenir de votre pays devra reposer sur toutes les forces vives qui œuvrent au Luxembourg ? Est-ce possible, comme à l’instar du slogan des les Luxembourgeois le disent de « demeurer ce que nous sommes », sans se mobiliser ? Se cramponner à des communautarismes qui protègent, confortent et excluent, n’est-ce pas suicidaire car ils génèrent à leur tour d’autres communautarismes tout aussi fermés ? La chance de votre pays est la richesse des diversités entre tous les résidents, en grande majorité européens. Vouloir assimiler les étrangers, ne serait-ce pas les réduire ? Les intégrer en leur conférant les mêmes rôles, ne suppose-t-il pas qu’ils aient les mêmes droits et avantages que les Luxembourgeois ? De même, reconnaître l’importance des frontaliers comme le montrent de nombreuses études, n’est-ce pas devenu normal ? Face à la Grande Région et surtout face à la puissance des pays émergents où selon mon analyse, se situent des collaborations fructueuses pour le Luxembourg, « small is beautiful » à condition que tous les acteurs de votre pays aient l’intelligence du cœur et le dynamisme aux tripes. Qu’en pensez-vous ? Et surtout, comment pensez-vous convaincre ?

 Marc Wagener

Considérant que plus de 60% des résidents luxembourgeois n’ont pas citoyenneté grand-ducale, respectivement sont Luxembourgeois mais avec un arrière-fond migratoire, je me pose la simple question suivante : qui est le « Nous » dans « nous voulons demeurer ce que nous sommes » ? L’enjeu qui se fraye son chemin à travers nos discussions consiste à déboucher sur un projet commun de société, un vivre ensemble. Des termes tels que « intégration », ou pis encore, « assimilation », ne sont guère appropriés dans le contexte luxembourgeois. En l’occurrence, une assimilation ou une intégration présupposent qu’une masse disparate et hétérogène puisse être fusionnée dans un grand ensemble homogène. Or, c’est ce grand ensemble homogène qui fait défaut au Luxembourg, avec moins de 40% de Luxembourgeois « pure souche ».

En réponse à la diversité culturelle, linguistique, économie et sociale du Luxembourg, il convient à mes yeux de prôner un brassage, un mélange, une reconnaissance mutuelle, une coexistence enrichissante. Une telle conception se marie difficilement avec la subsistance de communautarismes, de niches jalousement défendues, un repli sur soi-même, une mentalité tournée vers le passé, un refus de prendre acte des réalités du pays. Cette réalité est celle qu’aujourd’hui 70% des richesses sont produites par des non-Luxembourgeois.

Aussi doit-on insuffler une nouvelle dynamique à la Grande Région, ce laboratoire de l’Europe qui être rempli d’une vie qui aille au-delà le l’exercice des libertés fondamentales inscrites dans les Traités européens. En dépassant la conception que les frontaliers sont des simples pourvoyeurs de main-d’œuvre ; il faudra sans doute des efforts de part et d’autre pour atteindre un surplus de compréhension mutuelle et de cohésion sociale.

La diversité, c’est notre richesse. C’est une richesse inexploitée qui n’est pas « gérée », si l’emploi de ce terme m’est permis dans ce contexte. Et donc un paramètre qui, s’il est bien dosé et articulé, nous permet d’envisager un avenir radieux. Tout l’enjeu consistera à exploiter l’abondance de cette diversité et convaincant Luxembourgeois et étrangers, résidents et frontaliers, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, que l’avenir peut aussi être façonné et ne s’impose pas entièrement à nous comme une grandeur exogène. En proposant une plateforme de discussion plurilingue et un cadre structuré, transparent et ouvert, 2030.lu veut contribuer à ce que le grand projet d’avenir puisse se réaliser. 2030.lu ne peut pas imposer l’émancipation de la société civile, ni peut « transformer » les « habitants » en « citoyens ». Mais 2030.lu peut contribuer humblement à imaginer un renouveau du Luxembourg et à faire en sorte que cette émancipation voit le jour. L’avenir, nous le construisons ensemble.

 
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