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Priedegten 2023  
5 mai 2023

Le Magnificat

Homélie de Renée Schmit du 5 mai 2023

Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc (Lc 1,39-56)

En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.

Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »

Marie dit alors :

Mon âme exalte le Seigneur
exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !
Il s’est penché sur son humble servante ;
désormais tous les âges me diront bienheureuse.
Le Puissant fit pour moi des merveilles ;
Saint est son nom !
Sa miséricorde s’étend d’âge en âge
sur ceux qui le craignent.
Déployant la force de son bras,
il disperse les superbes.
Il renverse les puissants de leurs trônes,
il élève les humbles.
Il comble de biens les affamés,
renvoie les riches les mains vides.
Il relève Israël son serviteur,
il se souvient de son amour,
de la promesse faite à nos pères,
en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais.

Marie resta avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.


Monsieur le Cardinal,
Chers prêtres,
Chers amis qui êtes en lien avec nous par les médias,

« La Vierge Marie est mon plus beau coup de foudre ! » [1] Ce sont des paroles de la bouche du célèbre humoriste français Gad Elmaleh qui a marqué e.a. son « coming-out » catholique dans les médias. Reçu en audience privée chez le Pape François en décembre 2022, l’artiste n’a pas peur de parler en public de sa foi et notamment de sa relation personnelle envers la Vierge Marie : « Marie me tient et je la porte en moi, sur moi… Je lui demande de m’aider, surtout avant les shows. » Bien sûr, il a été traité de naïf par la suite par les uns ; d’autres l’ont remercié pour son témoignage courageux et d’autres encore lui ont reproché de parler de choses privées en public. La foi serait-ce malgré tout une affaire personnelle ? Comment se situer face à un tel bannissement en chrétien convaincu ?

Dans le texte que nous venons d’entendre, nous découvrons aussi une jeune femme bien courageuse. Elle est enceinte et pourtant elle n’hésite pas à entamer une marche à pied de Nazareth à Ain Karem pour visiter sa vieille cousine Élisabeth qui attend un enfant elle aussi. Ce que Marie vit avec le Seigneur n’est pas une affaire privée, mais une mission qui lui a été confiée. Nous lui aurions conseillé plutôt de rester à la maison pour se ménager. Mais, Marie est audacieuse malgré son état. Le fait de se mettre en route fait déjà partie de son appel. Elle est la première en chemin qui va connaître bientôt les douleurs de l’enfantement.

Marie fait partie de ces petites gens du peuple d’Israël, nommés dans la Bible les anawim [2]. Les prophètes de l’ancienne alliance en parlent comme des courbés, des affligés, des humbles du peuple. Bref, des personnes toutes simples n’ayant pas de grand lobby.

Comme eux, Marie veut attendre tout de son Seigneur qui l’a choisie. Il est son roc éternel sur lequel elle bâtit sa vie. Son Magnificat en devient l’expression. Il ne s’agit pas d’un témoignage de piété privée, mais d’une immense action de grâces envers le Dieu des Pères qui la rend forte.

Sa prière est inspirée des grands événements bibliques dont le livre des psaumes parle. Ce que Marie proclamera, elle l’a déjà expérimenté. Elle vit son Magnificat. « Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. » Pour devenir la mère du Sauveur, elle n’était pas demandeuse, mais cela lui a été demandé… Au fond de son cœur, elle est convaincue que rien n’est impossible à Dieu, son Seigneur, et qu’Il fera tout pour contribuer au bonheur de son peuple à travers elle. « Le Puissant fit pour moi des merveilles. Saint est nom. » En tout, elle fait abstraction de sa propre personne. Dieu seul est vainqueur. « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur. »

Chers amis,

Ces quelques versets nous montrent déjà à quel point ce texte connait une force révolutionnaire. Ici, l’ordre établi est renversé. Ce sont des paroles dérangeantes dans un monde où veut régner la toute-puissance, un monde où on pousse du coude pour arriver à son but, un monde où les grands dénigrent si subtilement les petits (no uewe bockelen an no ënnen trëppelen). Le Magnificat est une prière qui contient un potentiel explosif.

C’est ainsi, qu’il n’est pas étonnant que durant le temps de la dictature en Argentine, le Magnificat était interdit d’être prié ou chanté en public à cause de son impact politique.

L’un des commentateurs les plus célèbres est sans doute le réformateur protestant Martin Luther. Au 16e siècle – environ cent ans avant notre Octave – il affirme qu’il ne connait aucun texte dans la littérature allemande qui pourrait être si utile que ce chant sacré pour apprendre à des personnes à régner et devenir de vrais seigneurs. [3]

C’est d’ailleurs le jeune duc Jean de Sax, âgé alors de 18 ans, qui va demander au moine augustinien de lui fournir un texte pour l’aider à régner autrement afin de perdre toutes ses illusions d’être tout-puissant. Nous sommes à une époque difficile. Les gens souffrent de la peste et de la guerre. Beaucoup de personnes vivent sous le seuil de la pauvreté. Déçus du clergé établi et de la hiérarchie ecclésiastique, l’attente d’un nouveau Concile fait déjà ses clameurs dans le peuple.

C’est au cours de cette période que Martin Luther écrira son commentaire du Magnificat. Chose peut-être étonnante, car il verra en Marie une ambassadrice éminente de l’Évangile. Écoutons quelques extraits de sa traduction à lui [4] :

« Mon âme exalte Dieu, le Seigneur. Et mon esprit se réjouit de Dieu, mon Sauveur. Car il m’a regardée, moi, sa petite servante. C’est pour cela que les enfants et les petits enfants me loueront éternellement. Car celui qui fait toutes choses a fait pour moi de grandes choses, et son nom est saint. Et sa miséricorde s’étend d’une génération à l’autre pour tous ceux qui le craignent. Il agit puissamment et son bras détruit tous ceux qui sont orgueilleux dans l’intimité de leur cœur. Il prive les grands seigneurs de leur emprise et il élève ceux qui sont humbles et petits. Ceux ont faim, il les nourrit de toutes sortes de biens, mais les riches partent les mains vides. Il accueille son peuple Israël, qui le sert, il pense à lui dans sa miséricorde. C’est ce qu’il a promis à nos pères, à Abraham et à ses enfants, éternellement. »

N’est-ce pas une belle profession de foi d’un Dieu qui fait justice aux humbles et aux petits. La justice dont Marie se met à chanter n’est pas toujours la justice qui est promue dans la société actuelle, car de nombreuses personnes s’inclinent aveuglement devant le pouvoir imposé.

Qu’en est-il vraiment de la liberté religieuse qui est un des droits de l’homme fondamentaux ? Revenant pour cela encore un instant à Gad Elmaleh. Ce juif converti au catholicisme qui a fait parler de lui aussi grâce à son film autobiographique Reste un peu, apparu en novembre 2022. En converti, il ne se dérobe pas pour partager ses convictions et il se voit étonné sur ce point en disant :

« Je suis étonné qu’en France, une grande majorité de catholiques ne vivent pas leur foi au grand jour. Il y a une forme de pudeur et de retenue que les juifs et les musulmans n’ont pas. Je ne sais pas comment l’analyser mais, dès qu’ils sont dans l’amour et dans la joie, ils devraient être fiers d’être chrétiens. »

Chers pèlerins,

N’ayons pas honte de rendre compte de l’espérance qui nous habite pour en témoigner en actes et en paroles s’il est nécessaire [5], en marchant au pas de Marie. Elle, qui a été la première en chemin, si courageuse et audacieuse. Amen.

(traduit du luxembourgeois)


[1Le Figaro, novembre 2022.

[2Les anawim sont les pauvres de Yahvé. En hébreu, le singulier anawah est utilisé par les prophètes (Sophonie, Amos), dans les Psaumes et par Marie dans le Magnificat : les pauvres de Dieu, c’est-à-dire les « courbés », les « inclinés », les petits, les faibles, les humbles, les affligés, les doux.

[3Martin Luther, Le Magnificat : commentaire, Nouvelle Cité, 2018 ; voir la version luxembourgeoise de l’homélie avec le texte original en allemand.

[4Ibid.

[5Saint François d’Assise.

 
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