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Priedegten 2023  
8 mai 2023

Sur ta Parole

Homélie de Renée Schmit du 8 mai 2023

Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc (Lc 5,1-11)

Or, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth. Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules.

Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. » Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. » Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer. Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient.

À cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ; et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.


Monsieur le Cardinal,
Chers amis,

« Nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ». Une situation de crise dans l’Évangile et en même temps une nouvelle expérience spirituelle pour Pierre et ses collègues sur les rives du lac de Génésareth. En voyant la barque vide avec les filets, on est tenté de penser à une certaine forme d’immobilisme, qui s’est infiltrée dans l’Église du Luxembourg. Selon les statistiques récentes seulement 40 % croient encore en Dieu, tandis que 60 % sont plutôt indifférents à la question ou se considèrent comme athées ou agnostiques.

Dans son dernier livre Église catholique. Renaître ou disparaître [1], le sociologue belge, Charles Delhez s.j., affirme que « Nous assistons à la disparition de la « matrice catholique » de notre société occidentale, à la fin du « modèle paroissial » […] Jadis l’institution romaine quadrillait tout le territoire ».

Ce fut une Église avec un tas de mouvements chrétiens qui ont eu leurs aumôniers, une Église où les valeurs étaient plus ou moins dictées d’en haut et où on tâchait de donner sens à la vie à travers l’Action catholique ou une piété populaire. Notre société était chrétienne. Aujourd’hui, nous en sommes loin. La sécularisation nous place devant de nouveaux défis dans une Église qui tourne à maints endroits sur elle-même : conflits relationnels, visions d’Église différentes, biographies compliquées, questions de pouvoir et de responsabilités et cela dans une Église à taille modeste où tout le monde se connaît ? Y a-t-il un essoufflement ecclésial ? Les pneus pastoraux seraient-ils crevés à certains endroits ? Où est-ce que le Ressuscité a déserté son Église ?

C’est alors que la pêche miraculeuse apparaît comme un signe d’espérance à l’horizon, parce que Jésus ne s’attarde pas aux filets vides. Il voit la situation désolante des pêcheurs, mais n’entre pas en discussion ni ne les ignore pas. Au contraire, Jésus se fait proche. Il monte dans la barque de Pierre et lui exprime sa solidarité en affirmant qu’il ne le laissera pas seul. Après une longue catéchèse qu’il fait à partir de la barque de Pierre, Jésus invite ce dernier à repartir à la pêche en jetant les filets à un l’endroit qu’il indique où l’eau connaît une autre profondeur. Jésus sait bien que les pêcheurs sont incapables d’effectuer ce travail tout seul. La pêche véritable est un travail d’équipe. Même si Pierre a des résistances, il fait confiance à la parole du maître et lui répond : Sur ta Parole ! Sur ta Parole, Jésus, je vais me lancer encore une fois et faire une nouvelle tentative. » Par la suite, les pêcheurs vont jeter ensemble les filets encore une fois de plus, en prenant alors autant de poissons que leurs bateaux risquent de couler.

D’où proviennent-ils ? De l’endroit que Jésus leur a indiqué. En effet, Jésus leur a montré un autre espace pour la pêche qu’ils découvrent ensemble. Pour Pierre, il ne reste plus qu’à s’agenouiller en confessant la grandeur du maître : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis pécheur. » Il n’avait plus l’espoir qu’il pourrait nourrir sa famille encore en ce jour, malgré toute son audace. Un signe d’espérance sur les rives du lac !

C’est ainsi que Pierre donnera une leçon à notre Église locale en confirmant que celui qui se lie à nouveau au Christ à travers sa Parole, sera surpris du Seigneur lui-même et d’un Dieu capable de se manifester concrètement.

Les rives du lac de Génésareth ouvrent le regard des pêcheurs à une mer immense. Après une nuit de défaite, Pierre fait une nouvelle expérience spirituelle avec Jésus et il comprend qu’il n’a pas mérité sa générosité. Au cours de toutes ces années, il a été le chef et maintenant en découvrant sa propre pauvreté, le Christ devient son patron.

Dans son livre La Parole de Dieu autour de la Table [2], Henri Bastin, ancien doyen de Malmedy et curé accompagnateur du Foyer de Charité de Spa, raconte ses expériences pastorales autour de la lecture communautaire de la Parole de Dieu dans une Église qui est en train de changer de visage. À travers son projet « Tables de la Parole », qu’il vient déjà de proposer depuis une dizaine d’année grâce à une initiation à une lecture priante (lectio divina), l’auteur constate l’immergence de nouvelles cellules communautaires chrétiennes là où un partage de la Parole est récurrent. Des signes d’espérance qui ne devront pas faire halte devant la frontière du pays.

« Sur ta Parole », malgré toutes les affirmations et faux-semblants, malgré tant de découragements et de ce que les autres vont penser ou dire. « Sur ta Parole », Jésus demande à repartir toujours à nouveau.

Dans une Église en crise, il a besoin de notre disponibilité. Une Église en sortie ne pourra se réaliser que si nous nous laissons embaucher toujours à nouveau par le maître de la pêche. L’histoire de l’Église nous montre de bels exemples par des personnes fidèles à la Parole de Dieu qui ont accompli de grandes choses.

« Sur ta Parole ! » Cela me fait penser au Père Alexandre Men, prêtre orthodoxe, grande figure de l’intelligentsia russe, premier traducteur de l’Archipel du Goulag de Soljenitsyne, engagé à l’époque de la guerre froide dans les églises domestiques de Moscou. Dans la mouvance de la Perestroika, il est mort martyr en se rendant de grand matin à la Divine Liturgie, cruellement assassiné par un coup de hache dans le dos en novembre 1990.

La veille de sa mort, Alexandre Men avait donné sa dernière conférence intitulée « Le christianisme ne fait que commencer » [3].

À la tombée du rideau de fer, le Père Men a encouragé les chrétiens russes à sortir de leur clandestinité pour s’engager avec le Christ au cœur de la société russe. Aujourd’hui, l’Europe occidentale semble confrontée à des défis semblables. L’Église a besoin de décideurs courageux qui vivent l’évangile en petites fraternités dans un esprit de solidarité authentique. C’est ainsi que Jésus est à la recherche de personnes qui se laissent appeler malgré leurs imperfections (les leurs et celles d’autrui).

« Voulez-vous partir à votre tour ? » Cette question à la fin du discours sur le pain de vie dans l’Évangile de Jean est décisive alors que même ses amis les plus proches commencent à partir. Et c’est Pierre qui donne cette réponse formidable à Jésus : « Seigneur, à qui irions-nous ? Toi seul tu as les paroles de la vie éternelle. » [4]

« Sur ta Parole ! » Une invitation authentique pour l’Église actuelle, une invitation à ne pas s’enfermer dans des bâtiments, se réfugier dans ses sacristies ou derrière les vitraux d’une église hautement restaurée. « Sur ta Parole ! » Est un appel pour s’engager en faveur d’une Église en sortie, en allant à la rencontre des personnes pour écouter leurs questions et leurs histoires, à l’écoute d’un monde qui n’est plus chrétien. Tâche importante, mais pas facile. Charles Delhez, écrit dans son dernier livre et je le cite encore une fois : « Si je reste dans cette institution ce n’est pas pour sauver les meubles à la manière des antiquaires, mais parce que la cause de l’Évangile m’a convaincu et la personne de Jésus Christ m’a séduit. » [5]

Ce n’est qu’au contact avec le Christ en le faisant vivre en nous que nous devenons des témoins d’espérance dans un monde qui a soif d’espérance. Amen.

(traduit du luxembourgeois)


[1Charles Delhez, Église catholique. Renaître ou disparaître, Éditions jésuites, 2022, p. 17.

[2Henri Bastin, La Parole de Dieu autour de la Table. Parcours communautaire de Lectio Divina à Malmedy et en d’autres lieux, Licap-Halewijn, 2022.

[3Alexandre Men, Le christianisme ne va que commencer, Éditions du Cerf, 2010.

[4Joh 6,68.

[5Charles Delhez, op. cit., p. 78.

 
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