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Priedegten . Homélies  
20 juin 2015

« Ils sont dignes d’être reçus »

Homélie de Mgr Jean-Claude Hollerich, Archevêque de Luxembourg, à l’occasion des trente ans de l’accord de Schengen

Lorsque le 14 juin 1985, donc il y a trente ans jour pour jour, l’Accord de Schengen a été signé ils étaient cinq autour de la table, plus exactement ils étaient 3 + 2 : les trois pays du Benelux dans un mémorandum donnaient le ton dès 1984 pour avancer vers une plus grande liberté de circulation et une coopération plus étroite entre les douanes et les polices. Puis il y eut l’accord de Sarrebruck conclu en juillet 1984 entre l’Allemagne et la France, qui prévoyait la suppression progressive des contrôles à la frontière.

Si on peut croire aux récits historiques, tout aurait commencé à cause d’un problème très concret, c’est-à-dire les longs délais des transporteurs routiers aux douanes à Kehl, qui auraient provoqué une réaction spontanée de Helmut Kohl, chancelier allemand de l’époque. Comme souvent dans la construction européenne, un problème spécifique aurait donc permis de faire le premier pas vers une intégration plus générale. Cependant, l’accord de Schengen ainsi que l’importante convention d’application signée cinq ans plus tard en juin 1990 n’auraient pas vu le jour sans une double intuition profonde des Européens.

Il y avait d’abord le vieux rêve militant d’une Europe sans postes frontière. Ce rêve avait déjà permis dans les années cinquante une adhésion populaire au Traité de Rome de 1957, mais en réalité c’était plutôt la perspective de voyager sans devoir présenter ses papiers aux douaniers et policiers que celle d’un grand marché commun, qui animait les esprits européens. Puis, après la période de la loi martiale de 1981 à 1983 en Pologne il y avait certainement dans l’air du temps le sentiment de devoir avancer sur la libre circulation afin de mettre en relief l’absence de liberté et du respect pour la dignité des personnes dans l’Europe centrale et de l’Est sous l’emprise du communisme.

Toutefois, Schengen, c’était dès le début la recherche d’un équilibre entre liberté et sécurité. Supprimer les contrôles aux frontières intérieures nécessitait un ensemble de règles communes pour le passage des frontières extérieures des États, pour l’asile et l’immigration et la délivrance des visas. Permettre de circuler librement entre les pays adhérents exigeait aussi le renforcement de la coopération policière et judicaire.

Cette harmonisation des règles aux frontières extérieures, concernant les procédures d’immigration et d’asile au sein de l’espace Schengen etc. … reste pour le moins incomplète alors que le nombre d’États membres de l’accord de Schengen est passé de 5 à 26. Ces États restent aujourd’hui accrochés à leurs prérogatives. Ils ne se font pas confiance. Ainsi, dans le passé récent il y avait le projet de rétablir les contrôles douaniers par le Danemark en 2011. Dans la même année le gouvernement français a voulu fermer les frontières aux immigrants nord-africains pour réagir à la décision unilatérale du gouvernement italien d’accorder un permis de résidence de six mois à 25.000 migrants tunisien. Certains pays de l’Union ne participent pas ou seulement partiellement à l’espace Schengen. Ils ont fait le choix d’un opt-out avec la possibilité d’un opt-in.

Le tout donne parfois l’impression d’un bric à brac qui suscite l’incompréhension voire le refus. Et pourtant Schengen est et reste un cadeau pour les peuples européens, qui circulent librement dans un vaste espace. Seulement, même après trente ans, Schengen est toujours un diamant brut à l’état brut. Il faut le parfaire.

Car, avec les accords de Schengen c’est un peu comme avec l’euro. Les Etats sont heureux de faire profiter leurs citoyens des avantages économiques ou de plus de liberté, mais ils rechignent à faire le deuxième pas après le premier, un pas nécessaire pour trouver l’équilibre. Le refus d’admettre la nécessité de faire aussi le deuxième pas est pour moi la raison profonde pour le malaise européen contemporain.

Dans le cas de l’union monétaire les gouvernements n’expliquent pas suffisamment que, sans une certaine fédéralisation du budget au niveau européen, l’euro continuera de connaître des difficultés, car les différentes versions du pacte de stabilité ne sont pas assez contraignantes. Ils reposent à la fin toujours sur la bonne volonté d’un gouvernement de respecter une parole donnée, même pendant des périodes électorales.

Dans l’espace Schengen la situation est similaire. Prenez l’exemple de l’asile. Le règlement Dublin 2 en vigueur pour répondre aux demandes d’asile s’appuie sur la bonne volonté de tous de traiter les demandes dans le pays d’entrée sur le territoire de l’Union européenne. Mais ceci ne fonctionne pas. Il faut donc aller un pas plus loin et faire le deuxième pas. Or, il se trouve qu’au moment du trentième anniversaire de l’accord de Schengen la Commission européenne a soumis dans son agenda européen sur la migration des propositions novatrices qui - bien que limitées dans un premier temps à répondre à une situation d’urgence - portent en elles le potentiel de rompre avec la pratique de refuser le deuxième pas, notamment autour de l’idée d’établir un nouveau mécanisme pour repartir les demandeurs d’asile d’une manière plus solidaire entre les pays.

Maintenant tout dépend de l’accueil que les Etats réservent à ces propositions. Or, demain et après-demain leurs représentants, les ministres de l’Intérieur se réuniront ici, au Luxembourg pour débattre de cet agenda. Comme citoyen autant que comme évêque, je voudrais maintenant faire appel à eux :

Laissez-vous vous inspirer par l’esprit qui a régné ici à Schengen il y a trente ans au 14 juin 1985.

Laissez-vous vous inspirer par cette promesse de liberté que représente la libre circulation non seulement pour les Européens mais pour tous, y compris pour ceux et celles qui sont opprimés et persécutés dans leurs pays d’origine.

Ayez à cœur de trouver un juste équilibre entre sécurité et liberté, entre les demandes légitimes de vivre en sécurité chez nous et les appels au secours des personnes qui craignent pour leur vie et qui vivent dans l’insécurité dans leurs pays en guerre civile. Ils ont droit à la dignité. Ils sont dignes d’être reçus. Sie sind würdig, unter unser Dach einzugehen.

Accordez un accueil favorable à l’Agenda européen sur la migration de la Commission européenne.

N’acceptez-pas que la Méditerranée - qui est Notre Mer à tous, le Mare Nostrum, et notre baptistère, la piscine baptismale de notre civilisation, - ne devienne un grand cimetière comme nous a prévenu le Pape François.

Cherchez une solution solidaire entre vous, entre vos pays pour accueillir les refugiés et les personnes demandant l’asile, car même si cela ne résout pas toutes les questions, il s’agit là d’une pré-condition pour aller plus loin.

L’Union européenne ne pourra être vecteur de justice, de paix et de solidarité dans le monde, si l’injustice, la discorde et l’égoïsme national prédominent entre ses États-membres. Un accord sur un nouveau mécanisme de distribution pourra devenir le point de départ pour un nouveau système d’asile européen avec un processus décisionnaire unique, pour une gestion européenne de nos frontières et aussi pour des formes de migration légale plus adaptées et surtout plus humaines.

Enfin, je voudrais – maintenant au titre de Président de la Conférence Justice et Paix Europe - lancer un appel solennel à nos chefs d’États et de gouvernements d’envoyer un signal politique fort de soutien à la proposition de la Commission européenne sur la politique migratoire et d’y ajouter un autre signal : celui de renverser la tendance en ce qui concerne l’aide au développement et de tenir notre parole en ce qui concerne l’augmentation de l’aide au développement à 0,7% du PIB à l’horizon 2020. Seulement une toute petite minorité des pays est en bonne voie pour tenir cette promesse, dont celui qui a accueilli la conférence de Schengen et dont j’ai l’honneur d’être l’archevêque.

Car permettez-moi d’établir le lien entre migration et la pauvreté et la misère dans le monde. Soyons sans illusions : aussi longtemps que la situation ne s’améliorera pas dans les pays pauvres, la pression migratoire continuera. Sans perspectives pour une vie en dignité dans leurs pays beaucoup de personnes – et surtout de jeunes continueront à quitter leurs terres. Or, 1/7 de la population vit avec moins d’un dollar par jour, 1/8 a faim, 1/3 manque l’accès aux médicaments vitaux. Nous devons ouvrir des perspectives de vie à cette partie malheureuse de l’humanité. Ce n’est d’ailleurs pas simplement à cause de considérations d’opportunité que nous leur devons secours. La dignité humaine pour quelques-uns n’existe pas. Elle n’est pas divisible, elle concerne tous les êtres humains, et surtout ceux et celles qui sont le plus dans le besoin.

Le deuxième semestre de 2015 sera un semestre mondial pour le développement. Trois grandes conférences se tiendront dans les six mois à venir. Je vous demande de prier instamment pour leur réussite, car leur conclusion positive sera un signal d’espérance pour notre humanité et notre planète en dépendra. Soyez donc attentifs à la Conférence sur le financement du développement qui se tiendra en juillet à Addis-Abeba, à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre qui devrait adopter le prochain Programme mondial pour l’éradication de la pauvreté et le développement durable et la Conférence de Paris en décembre sur un accord mondial sur le climat.

Mgr Jean-Claude Hollerich, Archevêque de Luxembourg
Schengen – 14.6.2015 – La parole prononcée fait foi

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