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Priedegten 2023  
9 mai 2023

Donne-moi à boire

Homélie de Renée Schmit du 9 mai 2023

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean (Jn 4,6-10)

Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi. Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. » En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter des provisions.

La Samaritaine lui dit : « Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » – En effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains.

Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »


Monsieur le Cardinal,
Chers pèlerins dans cette cathédrale, et vous tous, téléspectateurs et auditeurs qui êtes en communion avec nous,

Dans le cadre de la démarche synodale à Luxembourg, un temps de prière commun a été proposé en juin 2022 à la cathédrale Notre-Dame de Luxembourg. Au cours d’une veillée de prière présidée par le Cardinal Hollerich, différentes personnes ont pu donner leur témoignage. Parmi elles, aussi une femme divorcée, qui, pour la première fois de sa vie, a pu communiquer, dans le cadre d’une liturgie officielle, des éléments de son cheminement de souffrance. Suite à cette soirée, je l’ai approchée pour la remercier et lui dire combien son vécu m’avait touchée. Au cours d’un bref échange à la sortie de la cathédrale, la femme m’a confirmé tout le bien que cette demande officielle lui avait fait. C’est là qu’elle s’est sentie accueillie comme une partie intégrante de l’Église. À cette femme et à toutes celles et ceux qui souffrent ou qui sont affectés par les suites d’un divorce, j’aimerais consacrer cette 7e prédication.

Le texte biblique que nous venons d’entendre cet après-midi se trouve dans l’évangile selon saint Jean (Jn 4,6-10). Il y est question d’eau. La symbolique de l’eau traverse le 4e évangile comme un fil rouge : Il y a tout d’abord Nicodème, qui lors d’une conversation nocturne avec Jésus entendra lui dire qu’il lui faudra renaître de l’eau et de l’Esprit (Jn 3,1-21), les noces de Cana avec les 6 jarres pleines d’eau qui deviendront du vin délicieux (Jn 2,1-11), la guérison du paralytique près de la piscine de Siloé (Jn 5,2-9), le lavement des pieds avant la dernière Cène (Jn 13,1-20), et, finalement, le cœur ouvert de Jésus en croix d’où vont couler le sang et l’eau (Jn 19,34).

« Jamais le Christ n’a manqué d’eau », dira Saint Tertullien plus tard dans le premier texte de la tradition concernant le baptême [1]. L’eau est le signe de la vie nouvelle pour celui qui veut vivre entre en relation avec Christ pour vivre de lui. Le baptême en est l’expression.

« Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. » C’est la réponse de Jésus à la samaritaine au puits de Jacob, cette femme qui s’approche du rabbi à l’heure de midi au puits de Sychar et Jésus lui demandera : « Donne-moi à boire ! J’ai soif ! »

Aujourd’hui, ce lieu se trouve en territoire palestinien à Naplouse, une petite ville qui n’est pas toujours accessible aux pèlerins à cause de la guerre sous-marine entre arabes et juifs. Un endroit, marqué jusqu’à nos jours par les dissensions passées entre juifs pieux de Jérusalem et des samaritains pieux du nord. Et c’est ici que Jésus va choquer son entourage en rencontrant en l’occurrence une femme.

Trois attitudes de Jésus nous invitent à un déplacement :

  • Le fait qu’un homme, un maître, converse en public avec une femme.
  • Qu’il parle à une femme qui appartient à ethnie suspecte. Car aux yeux des Juifs, les samaritains étaient les concurrents des juifs de Jérusalem.
  • Et que cette femme en question avait eu quelques affaires avec différents hommes et vivait actuellement dans une relation que la loi juive ne permettait pas.

Même si Jésus est parfaitement au courant, il ne condamne pas la femme, ni ne la corrige. Bien au contraire : il lui adresse la parole à hauteur égale – une conversation respectueuse de toute son histoire et de son être, une rencontre sans reproche et sans jugement aucun. Pour la femme, c’est une expérience décisive, car le Christ lui confèrera une force telle qu’elle se mettra à parler de Lui dans son entourage.

Nous sommes confrontés à trois sujets brûlants :

  • Jésus et les femmes,
  • Jésus et les minorités,
  • Jésus dans son rapport avec des personnes échouées.

Depuis des années, ces thèmes sont discutés dans les coulisses d’une institution endommagée de même que sur le terrain pastoral. Beaucoup d’émotions se sont dégagées et pas mal de ruptures ont été vécues. En même temps, il est évident que beaucoup de bons chrétiens ne partageront pas l’attitude de Jésus et cela jusqu’à nos jours.

Son comportement envers les femmes lui a valu plus d’une fois des critiques acerbes. Mais n’oublions pas qu’un groupe de femmes faisait partie de son entourage le plus proche, ensemble avec les douze :

  • Marie Madeleine qu’il avait guérie,
  • Marie de Béthanie qui a vu en lui le rabbi de Nazareth,
  • sa sœur Marthe qui estimait que le partage classique des rôles féminins était sans doute préférable (Küche/Kinder/Kirche=cuisine, église, enfants),
  • de même que la pécheresse que les pharisiens ont voulu lapider.

Jésus protège les femmes et il les estime. Pour Jésus, tous les humains ont la même dignité. Paul, écrira plus tard dans son épître aux Galates : « Car tous, dans le Christ Jésus, vous êtes fils de Dieu par la foi. En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus. » [2]

Dans son livre Le temps des églises vides [3], Tomáš Halík aborde la même thématique et dit (et il n’est pas le seul à le dire) qu’il semble bien que le 21e siècle est le siècle des femmes [4]. C’est au cours de ce siècle que la situation des femmes et leur intégration au niveau socio-politique a évolué considérablement. Et nous devons veiller à ne pas les perdre.

Une Église guidée par l’Esprit sait écouter la demande des femmes, les impliquant dans des postes de responsabilité en écoutant leurs doléances ou leur ressenti féminin. N’est-ce pas cela que Jésus a fait ? N’est-ce pas à cela que nous reconnaissons son vrai désir de faire justice aux femmes ?

Mais il y a encore un deuxième point sur lequel Jésus suscite surprise et colère. Il converse avec une samaritaine en public. Pour les juifs, cette femme appartenait à une ethnie particulière qui se situa en concurrence aux juifs de Jérusalem. Jésus lui-même, juif de naissance, n’a eu aucun préjugé envers eux. Bien au contraire, dans de nombreuses situations, voire dans les paraboles, les samaritains ont un rôle important, car ils n’étaient pas seulement impliqués dans la religion, mais ils étaient de vrais croyants.

En outre, il faut bien voir que les grands mouvements, dans une religion ou une politique, ont été initiés souvent par des minorités. Il suffit de penser à Nelson Mandela, à Mahatma Ghandi ou à Martin Luther King. Une Église, ou une politique, qui n’estime pas les minorités, court le risque de soutenir une idéologie dans le peuple. Jésus dit encore ailleurs que ses disciples, hommes ou femmes, sont le sel de la terre et la lumière du monde, et il suffit qu’il y en ait juste assez pour que tout ait du goût ou illumine le chemin.

L’histoire du puits de Jacob souligne encore une troisième attitude. Jésus parle avec une femme qui a déjà eu 5 hommes et qui vit maintenant avec un homme avec qui elle n’a pas de lien légal. Il ne la congratule pas et ne légitime pas non plus sa relation sans toutefois l’exclure. Il prend son histoire au sérieux. Il lui fait sentir qu’il l’aime et cela change tout.

Chères sœurs, chers frères,

Au moment où, au 21e siècle, le pape François dans Amoris Lætitia [5] a pris cet Évangile au sérieux et a répondu que c’est important, humainement et individuellement, de se faire proche, d’aller à la rencontre des divorcés et des divorcés remariés, de leur offrir l’espace nécessaire à leur épanouissement spirituel, qu’il leur a même montré que l’eucharistie est le premier fortifiant pour les faibles comme aussi une distinction pour ceux qui sont forts, les pharisiens d’aujourd’hui ont pris la parole en masse et ont lancé au pape de méchantes critiques. Alors nous pouvons nous demander – même si le puits de Jacob existe toujours au même endroit et est encore toujours profond de 30 mètres – si nous avons réellement compris le message de Jésus. Voulons-nous incarner ce message et réaliser la mission qu’il nous confie ou alors est-ce que pour nous, la loi est encore toujours plus importante que la vie de l’homme ?

Derrière tout ceci se cachent de grandes doléances et revendications que nous pouvons, en cette Octave, venir déposer auprès de la Consolatrice des Affligés. Elle est la femme de la vie, la femme de l’espérance et elle connaît certainement le nombre des femmes en pleurs devant sa statue après que leur mariage se soit brisé et qu’elles se soient retrouvées avec leurs enfants devant un tas de débris.

Apportons devant la Mère de Dieu toutes ces situations pénibles et douloureuses. Mettons en confiance nos doléances et revendications devant elle, qu’elle nous gratifie de lumière sur notre chemin de pèlerins et nous mène sur de nouvelles voies d’amour et de miséricorde. Amen.

(traduit du luxembourgeois)


[1Tertullien, Le baptême. Le premier traité chrétien, Édition du Cerf, coll. « Trésors du christianisme », 2008.

[2Gal 3,27-28.

[3Tomáš Halík, Die Zeit der leeren Kirchen. Von der Krise zur Vertiefung des Glaubens, trad. en allemand par Markéta Barth, Herder, 2021 (Le temps des églises vides ; notre traduction).

[4Ibid., p. 65.

[5Pape François, Amoris Lætitia, no 241-246.

 
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