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Fridden . Paix  
14 mai 2024

Conflit au Proche-Orient et dialogue interreligieux

Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France, livre son analyse

Le propos est sans détour, la vision réaliste et donc légitimement pessimiste, mais l’Espérance est là. Le pasteur Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France, invité par le Centre de Formation Diocésain dans le cadre de l’Octave 2024, a fait le point sur les défis auxquels est confronté le dialogue interreligieux dans le contexte du conflit au Proche-Orient. Sujet qu’il a abordé avec beaucoup de clarté, fort de son expérience en France au sein d’une cellule de cinq responsables religieux protestant, catholique, orthodoxe, juif et musulman.

Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France
© I. Scart / SCP

Le pasteur Krieger commence par quelques constats. Le conflit israélo-palestinien nous plonge dans une histoire longue et complexe, à la fois européenne, musulmane et juive. « Nos contemporains juifs ont conscience d’appartenir à un peuple victime et les musulmans aspirent à la reconnaissance », note-t-il. D’où un potentiel d’identification hors normes. « Aucun conflit actuel ne mobilise les passions à ce point. Pourquoi ? Parce qu’il nous parle de notre histoire et de nos options politiques, de nos difficultés avec le judaïsme ou avec l’islam. »

Difficulté supplémentaire, le conflit est lu principalement selon une grille de lecture binaire, avec les bons et les méchants. Christian Krieger remarque : « il a été difficile pour certains leaders politiques ou religieux de qualifier l’attentat épouvantable du Hamas. Aujourd’hui il leur est difficile de qualifier la situation dans la bande de Gaza. » Cette difficulté s’exprime de manière tangible dans les débats actuels, très vifs en France, autour de la liberté d’expression. « Ce potentiel clivant rend la fraternité pratiquement impossible », constate le pasteur. D’autant que les leaders religieux sont sous le diktat des réseaux sociaux. Le 12 novembre 2023, un mois après l’attentat perpétré par le Hamas, le président du Sénat français et le président de l’Assemblée nationale française ont organisé une manifestation dont le mot d’ordre était « pour la République et contre l’antisémitisme ». Le président de la République était absent, à l’incompréhension générale. Les leaders musulmans ne sont pas venus non plus. « Ils étaient incapables de manifester leur fraternité parce que le thème de la manifestation ne mentionnait que l’antisémitisme et non les discriminations à l’égard des musulmans », explique Christian Krieger. Enfin, dernier constat, le conflit souffre de raccourcis : l’État d’Israël, le gouvernement israélien actuel et les juifs en général sont assimilés de manière fausse et dommageable.

Un auditoire soucieux de comprendre pour agir
© I. Scart / SCP

Le tableau étant dressé, le pasteur a analysé, pour un auditoire particulièrement concentré, la manière dont est reçu le conflit en France. « Ce conflit géopolitique et territorial est inexplicable sans la dimension religieuse. En France, les juifs s’identifient à l’État d’Israël et vivent un traumatisme absolument majeur. Les musulmans s’identifient quant à eux à la cause palestinienne. Et malheureusement juifs et musulmans sont beaucoup plus enclins à se faire les ambassadeurs de leurs frères et sœurs du Moyen-Orient, qu’à être ambassadeurs auprès d’eux du potentiel de fraternité entre musulmans, juifs et chrétiens tel qu’il existe en Occident. » Dans ce contexte, Christian Krieger observe une « compétition victimaire », comme un bras de fer entre communautés pour savoir qui est davantage victime. « Ces deux groupes se sentent injustement victimes d’une situation tellement douloureuse qu’ils ne peuvent se mettre dans la situation de l’autre. » De cette compétition victimaire découle une crise de l’empathie : toute attention portée à l’un est vécue comme une injure par l’autre.

Conséquence directe : le dialogue interreligieux a connu une réelle régression au cours des derniers mois, beaucoup d’acteurs juifs ou musulmans s’étant retirés de projets interreligieux. Or « l’entente des religions est essentielle pour l’harmonie des sociétés, rappelle le président de la Fédération protestante de France, même en France où la séparation est radicale. Dans les sociétés très laïques, on crée un illettrisme religieux. Les religions sont vues comme un archaïsme. Le fait que les religions puissent s’entendre est essentiel. La phrase selon laquelle ‘la religion n’est pas le problème, elle est la solution’, n’est plus audible. »

Quelle solution ? Il faut entretenir les relations individuelles pour pouvoir relancer le dialogue interreligieux. Visiter les uns et les autres. Ainsi, Christian Krieger, en tant que président de la Fédération protestante de France, avec Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des Évêque de France et Monseigneur Dimitrios, président de l’Association des Évêques orthodoxes de France, ont rendu visite le même jour au Grand Rabbin de France puis au Recteur de la Grande mosquée de Paris pour exprimer leur empathie. « Nous nous sommes engagés sur une ligne de crète, explique le pasteur. Je suis autant solidaire des otages que des populations de Gaza. On ne peut pas piéger le chrétien dans cette crise de l’empathie. »

Pour maintenir le dialogue, il est essentiel de continuer à agir partout où c’est possible. Deux exemples donnés par Christian Krieger : la rédaction d’un livre en commun sur la question de la fin de vie et l’organisation d’une formation pour tous les responsables religieux sur les violences sexuelles. « Il ne faut pas abandonner les lieux, même s’il manque des gens autour de la table, insiste-t-il. Nous traversons un hiver de l’interreligieux, mais j’aime citer le poète français Guillaume Apollinaire ‘Jamais les crépuscules ne vaincront les aurores, étonnons-nous des soirs mais vivons les matins’. Nous devons porter haut l’idéal de la religion, dont le sens, comme le disait Paul Ricoeur, ‘est de libérer le fond de bonté des hommes, d’aller le chercher là où il est complètement enfoui’. »

Enfin, pour tenter d’illuminer ce tableau sombre, Christian Krieger établit une distinction entre le futur et l’avenir. « Le futur est prévisible, il découle du présent, c’est le fait de tomber en panne sèche si je roule trop longtemps sur la réserve, mais l’avenir c’est ce qui surgit et n’est pas prévisible, notamment l’action de Dieu qui fait toutes choses nouvelles. Que serait demain s’il s’agissait d’un futur sans avenir ? Nous avons dans l’Évangile une parole qui nous permet d’être acteurs. »

Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France et Renée Schmit, directrice du Centre de formation diocésain
© I. Scart / SCP
Isabelle Scart
isabelle.scart@cathol.lu
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Dans l’auditoire se trouvaient notamment Maggy Barankitse, fondatrice de la Maison Shalom, et Monseigneur Hollerich, archevêque de Luxembourg.

Maggy Barankitse, fondatrice de la Maison Shalom
© I. Scart / SCP
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